• le patriarcat en nous

    Explosion de la famille nucléaire : le patriarcat en nous (1/ 3)

    le patriarcat en nous

    Note : Comme pour l’ensemble des compte rendu des pannels que nous aurons suivi dans le Congrès, nous mettons dans un premier temps en ligne les résumés de ces débats souvent passionnants. Nous avons enregistré la plupart des échanges auxquels nous assistons ce qui représente des heures de sons-

    Ce blog continuera donc à être alimenté bien après la conférence notamment avec les extraits sonores sélectionnés des conférences.Danseuses khasies- Shad Suk Mynsiem (danse du coeur joyeux) Shillong- Meghalaya- Avril 2011

    Compte rendu du pannel : The patriarcal nuclear family : critiques and alternatives from Matriarchal Societies-

    Avec Valentina Pakyntein, professeur en Anthropologie- North Eastern Hill University- Shillong- Inde/ Dr Linda Christiansen-Ruffman St Mary University, Halifax-Canada, Dr Malika Gasshoff Makilam- Allemagne-

     

    le patriarcat en nous

    Valentina Pakyntein et sa fille, Shillong Meghalaya- avril 2011

    L’objet de pannel est de comparer la structure familiale occidentale héritée du patriarcat avec des structures non occidentales, d’origine matrilinéaire.  Je retrouve avec plaisir Valentina Pakyntein, que j’avais rencontrée lors d’une récente recherche documentaire à Shillong, au Meghalaya dans le Nord Est de l’Inde et avec qui j’avais déjà abordée longuement la question de l’organisation sociale dans une société matrilinéaire. Valentina est anthropologue mais elle est également khasie, c’est à dire qu’elle a été élevée et éduquée dans une société qui est matrilinéaire et matrilocale et que son bagage académique repose également sur son expérience de vie.

     

    « Pourquoi devrait-on changer notre mode de fonctionnement, dit-elle, quand on voit comment les choses se passent dans les sociétés patriarcales ? Quand je me rends à l’extérieur du Meghalaya, en Inde, je suis choquée par la manière dont les femmes sont traitées.

    A Delhi, par exemple, il est fortement déconseillé pour une femme seule de se trouver dans les rues à la nuit tombée.

     Les violences envers les femmes sont nombreuses dans les sociétés patriarcales voisines. Chez nous, nous vivons en bonne intelligence. Les femmes sont libres et peuvent circuler à leur guise. Elles ont un accès à l’éducation privilégié, avoir une fille est une bénédiction au Meghalaya et une calamité dans le reste de l’Inde. Aujourd’hui, les sociétés modernes et éduquées, commencent à avoir un regain d’intérêt pour les systèmes matrilinéaires. Au Meghalaya, les femmes ne cherchent pas à dominer les hommes, comme cela à pu être mis en avant par certains médias, elles revendiquent une complémentarité, il est plutôt question d’avancer ensemble. »

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    Le Dr Linda Christiansen est enseignante au département de sociologie et de criminologie de l’Université d’Halifax, elle est diplômée en anthropologie et sociologie. Elle a effectué de longues recherches sur l’émergence du patriarcat et de la structure familiale qui deviendra son édifice social en Europe : « While gender may be conceptually and politically useful in some circumstances, without a women's movement and a feminist framework, it reasserts patriarchy and patriarchal assumptions and directs attention away from important features of feminist holistic analysis for social change. Conceptually it lacks the standpoint of women's studies, with its theory, methodology and praxis by, for, about and with women. Gender does not have the analytic strength to lead us toward alternatives against the persistent power of patriarchy which is rekindled by contemporary values of might, power, competition, and greed. Gender erases women and politics and provides fertile grounds for breeding misogyny. Gender is not enough. »

    (Alors que la genre peut être conceptuellement et politiquement utile dans certaines circonstances, sans un mouvement de femmes et une structure féministe, il réaffirme la prééminence patriarcale et détourne l’attention des axes de réflexion identifiés par les femmes pour un changement de la société.(…) la notion de genre ne porte pas une force d’analyse nous permettant de mettre en œuvre les alternatives au pouvoir persistant du patriarcat qui est relayé dans les valeurs contemporaines de pouvoir, de compétition et d’avidité. Le genre élimine les femmes et aliment le terrain de la misogynie. Le genre n’est pas suffisant ! » 

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    Malika Gasshoff Makilam, kabyle, historienne et Docteur en Philosophie, a grandi dans un village du Djurdjura jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Elle vit depuis en Europe tout en étant très attachée à ses origines. Son témoignage, ponctué d’expériences personnelles, a le mérite d’apporter de nombreux éclairages nouveaux et inédits sur les rites et les mythes d’une société en voie de disparition. Dans Signes et Rituels Des Femmes Kabyles qu’elle publie en 1999

    Elle montre que dans la société kabyle, contrairement à ce que l’on croit trop souvent, les femmes se sentent parfaitement libres dans leur condition de femme, qui leur confère sur le groupe familial un privilège sans égal.

    Universitaire impliquée dans la recherche sur l’histoire des femmes, et Kabyle déterminée à inscrire la culture berbère dans la cosmogonie et les valeurs léguées par une des plus anciennes civilisations, Makilam s’attache à démontrer comment les pratiques magiques, symboles graphiques et rites de passage, qui ne se transmettent que par les femmes, autorisent d’autres interprétations de l’identité culturelle de la femme kabyle que celles qui, entre silence et isolement, lui sont généralement attribuées par l’observateur occidental.

    Au delà d’une belle contribution aux savoirs sur les cultures maghrébines et sur la partition que les femmes y ont tenue, ce parcours initiatique conduit donc à reconsidérer la signification de l’existence terrestre et le sens de l’organisation sociale dans les sociétés dites « traditionnelles ».

    (enregistrement audio de l'historique du Patriarcat eu Europe/ Dr Linda Christiansen-Ruffman)

    Linda commence par faire un historique du patriarcat en Europe, c’est donc à partir du XVème dans le mouvement suivant la Réforme (donc pour rappel le processus élaboré dans l'Église catholique du xve et xvie siècle pour la modification et la réorganisation de ses structures, de ses pratiques et de ses dogmes et ayant abouti à la formation d'Églises séparées) que la tendance patriarcale s’affirme dans une refonte de la société mettant les femmes en situation d’infériorité alors qu’elles avaient acquis entre les II et XIV, une liberté d’expression, de pensée et d’action qu’elles ne retrouveront plus pendant des siècles.

    C’est au cours de cette mutation de la société que prend forme le modèle de la famille bourgeoise qui deviendra la pierre angulaire de la société capitaliste et ce modèle s’érige sur l’assujetissement des femmes à leurs époux et à leurs pères. La caractéristique du système patriarcal est qu’il est basé sur la conjugalité comme garantie de la transmission de la propriété privée versus la matrilinéarité, basé sur le lien entre la mère et l’enfant qui elle opère comme un mode de gestion collectif au service du clan et de la communauté. Dans la famille nucléaire issue du système patriarcal, les chercheuses observent qu’elle produit des êtres coupés de leurs émotions qui est la condition première pour la prévalence du marché du travail sur les relations humaines.

    le patriarcat en nous

     Cette déclaration me fait penser aux mots chef indien Smohalla (1815-1895) leader du mouvement des Rêveurs, qui n’abdiqua jamais ses convictions jusqu’à son dernier souffle : « mes jeunes gens ne travailleront jamais, car le travail tue le rêve et sans le rêve ils ne souviendront plus de qui ils sont ».

    Cette déclaration qui en a fait ricané plus d’un au moment où carriérisme et productivisme étaient les nouveaux objets de culte, prend aujourd’hui une autre résonnance alors qu’on commence à mesurer l’énorme souffrance dans le monde du travail. Il ne s’agit pas de dire que le travail est mauvais, c’est la relation au travail que Smohalla questionne avec une grande clarté de vision à l’époque et la manière dont l’homme s’est asservi à cette organisation sociale pyramidale qu’est le monde du travail dans son ensemble.

     Un des points les plus intéressants que va soulever ce débat sur le patriarcat est comment ce mode de pensée avec ses représentations et ses systèmes de valeurs nous imprègnent profondément, alors même qu’on pense avoir déconstruit ces shémas réducteurs : à quel point le patriarcat est-il enraciné en nous ?

    A cette audience exclusivement féminine qui suit ce pannel avec attention, Linda demande à chacune d’entre nous de prendre un temps de réflexion et de noter une situation que nous avons vécue en tant que femmes et qui nous a semblée particulièrement discriminante ou injuste. Il y a un moment de flottement puis nous nous mettons toutes à écrire fébrilement.

    Le point suivant qu’elle va aborder est la complicité que en tant que femmes nous apportons à certains modèles issus du patriarcat : pourquoi les femmes se rendent-elles si souvent complices d’un état de fait où ne sont pas (du moins en apparence) avantagées, reconnues, entendues ?

    Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des Droits de la Femmes au moment de la Révolution française,  l’avait déjà remarqué en son temps alors qu’elle écrivait : « les femmes n’ont jamais eu de plus grand ennemi qu’elles-mêmes, rarement on voit les femmes applaudir au bel ouvrage d’une femme.»

    C‘est en cela que ce 11ème Congrès des Mondes des femmes à Ottawa est en soi un événement tellement signifiant pour toutes celles et ceux qui ont la chance d’y participer : car cela fait de temps vraiment à l’échelle de notre histoire que des femmes du monde entier viennent se rencontrer, s’écouter et s’encourager mutuellement pour fracasser les plafonds de verre.

    A suivre…

    le patriarcat en nous

     Workshop : Troublée par l’exercice que Linda nous a fait faire, je vous propose le suivant :

    Prenez un temps de réflexion et notez un souvenir ou une situation dans laquelle vous avez clairement senti que vous trahissiez votre condition de femme, sans que cela vous apporte forcément un bénéfice mais juste par conditionnement ou soumission à une forme de pensée dominante.

    Vous êtes les bienvenues à nous faire parvenir ce témoignage qui peut très bien rester anonyme mais qui est une matière à réflexion essentielle car c’est en nous-même que le changement doit déjà s’opérer.

    Voilà mon propre témoignage  « j’ai vu un homme avec lequel j’entretenais une relation amoureuse devenir violent verbalement avec une de ses ex, bien que la situation m’ait dérangée et que mon réflexe était d’intervenir, je me suis tue en me disant qu’après tout cela ne me regardait pas, je me suis tue par confort finalement car c’était plus facile de se taire. Quelque temps après c’est moi qui me suis retrouvée dans la même situation, à la place de l’agressée et ma première pensée a été pour elle à ce moment-là, pour ne pas l’avoir défendue à un moment où elle était vulnérable et où il exerçait une relation de pouvoir sur elle car inévitablement si personne ne réagit, il n’y a aucune raison que les choses changent. »

    D.B